Lettre ouverte de Mgr Christian Lépine, Archevêque de Montréal
Montréal
À l’occasion du 77ᵉ anniversaire de la Déclaration universelle des droits humains — « La dignité humaine, notre socle commun »
Chaque 10 décembre, la communauté internationale souligne l’anniversaire de la « Déclaration universelle des droits de l’homme », adoptée au lendemain des ravages de la Deuxième Guerre mondiale. Depuis ma jeunesse, ce texte m’interpelle profondément. Il représente, à mes yeux, la grande leçon tirée de ce conflit : les nations modernes ont reconnu la nécessité d’une valeur qui les dépasse, une valeur transcendante, celle de la dignité de toute personne humaine.
Cette déclaration n’est pas un texte théologique. Elle n’impose aucune croyance particulière. Mais elle affirme que, quelles que soient notre foi, notre conviction ou même notre absence de croyance, il existe une limite que nul pouvoir ne devrait franchir : on ne peut jamais traiter un être humain comme un simple moyen ou un danger à écarter. La personne n’est pas d’abord un coût ou un chiffre dans une colonne : elle est un visage, une histoire, une âme.
Or, j’avoue que je suis inquiet de l’air du temps. Dans les débats sur l’immigration, ici comme ailleurs en Occident, je reconnais des accents d’intolérance. Aujourd’hui, on entend trop facilement : « Si ça va mal, c’est à cause des immigrants. » S’il manque de logements ou de services, ce serait la faute des nouveaux arrivants. Pointer du doigt « les autres » est une tentation ancienne. Chaque fois que nous y cédons, nous nous éloignons de l’esprit même des droits de la personne.
Je suis également préoccupé par une certaine compréhension de la laïcité. Si la laïcité devient une sorte de culte de l’État, qui prétend décider seul du sens ultime de notre vie commune, elle n’ouvre pas un espace de liberté : elle le rétrécit. La vraie laïcité ne consiste pas à effacer les convictions religieuses ou philosophiques de la sphère publique, mais à servir l’ensemble de la société dans sa diversité de croyances, y compris l’athéisme. Une laïcité ouverte n’a pas peur des signes religieux. Elle n’a pas besoin d’humilier pour protéger.
Depuis 1948, les droits de la personne ont permis de remarquables avancées. Des peuples ont pu briser le joug des dictatures, des femmes et des hommes ont vu leur dignité mieux reconnue, le droit d’association a permis à des travailleurs et travailleuses de se regrouper. Ce serait insuffisant de croire que l’histoire va continuer à aller dans le bon sens sans vigilance ni effort. On n’intègre pas une fois pour toutes le respect de la dignité. Il faut le choisir et l’entretenir constamment pour qu’il grandisse toujours davantage.
Alors que nous entrons dans le deuxième quart du XXIe siècle, sommes-nous devant un affaiblissement de la modernité issue de l’après-guerre, ou devant un appel pressant à revenir à ses sources les plus nobles? Je penche pour la seconde option. Nous traversons un contexte post-pandémique marqué par la fatigue et l’inquiétude. Un certain vertige se dresse devant l’avenir. La peur est une réalité compréhensible, mais elle est une mauvaise conseillère. Elle nous pousse à nous refermer, à nous méfier, à dresser des murs plutôt qu’à bâtir des ponts.
Que faire alors? Au-delà de la polarisation actuelle, je nous propose une invitation : celle d’une
« réflexion de vie » personnelle et collective. Sommes-nous toujours fidèles aux valeurs que nous proclamons? Mettons-nous réellement la dignité de la personne au cœur de notre vie sociale, économique et politique? Défendons-nous, dans nos choix personnels et collectifs, le droit de chacun à la vie, à la liberté et à la sécurité?
La Déclaration universelle des droits de l’être humain nous offre un projet de société lumineux : une humanité qui se construit non pas sur la peur de l’autre, mais sur la reconnaissance de sa dignité. Le développement ne sera jamais durable s’il sacrifie des personnes en chemin.
En cette Journée internationale des droits humains, je nous souhaite que la société ait le courage de se ressaisir, de sortir de la peur et de redécouvrir, au-delà de nos divergences, ce socle commun que représente la dignité de toute personne humaine. C’est sur cette base que nous pourrons continuer à construire une paix vraie et un avenir qui n’exclut personne.
✠ Christian Lépine
Archevêque de Montréal
https://youtu.be/7WMrv5lJbxg?si=ouqJ8Kp7_QMkQ2Dn
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