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8 juin 2022 - Du Pérou, nous transmettons nos chaleureuses salutations aux délégués du congrès annuel 2022 de l’ACPE. 

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Notre pays est un hôte important pour les investissements dans le secteur minier, particulièrement en provenance du Canada. Malgré la pandémie, les investissements miniers au Pérou ont augmenté de 21,1 % en 2021 par rapport à l’année précédente1.

Le Pérou a placé le secteur minier au coeur de son économie et les investissements canadiens représentent 15,3 % de ce secteur2. Malheureusement, cette politique d’investissement n’a pas entraîné, comme on le promettait, une amélioration de la qualité de vie pour la plupart des communautés des zones minières. Bien au contraire, cette politique a engendré de la corruption, la contamination de l’environnement, des atteintes aux droits à la vie et à la santé, en semant des conflits sociaux, des  maladies et même la mort.

Le droit des communautés paysannes et autochtones à la consultation préalable sur les projets miniers n’est pas adéquatement respecté, même si ce droit est inscrit dans les traités internationaux ratifiés par le Pérou et dans nos propres lois nationales. Bien souvent, dans des environnements fragiles et en amont des cours d’eau, les compagnies minières commencent l’exploration sans avoir adéquatement consulté au préalable les communautés locales qui dépendent de la terre et de l’eau pour l’agriculture. Cela crée de graves conflits entre les compagnies et leurs travailleurs et les communautés affectées qui cherchent à protéger leurs moyens de subsistance. Les causes de ces conflits ne sont ni comprises par les compagnies ni dûment prises en compte par un État qui ne remplit pas son rôle de protecteur des droits.

Un rapport daté d’avril 2022 du bureau de l’Ombudsman péruvien (une instance de l’État responsable de la défense des droits humains) indique que, sur les 209 conflits sociaux enregistrés, 63,2 % étaient de nature socio-environnementale, et que 65,9 % de ceux-ci étaient liés au secteur minier3. Entre 2004 et 2019, ces conflits socio-environnementaux ont causé la mort de 48 personnes4, mais la plupart des responsables de ces décès ont bénéficié de l’impunité.

La faiblesse des institutions et le manque de réglementation environnementale de l’État ont permis à de nombreuses compagnies minières de contaminer l’eau, l’air et les sols dans les communautés situées près de leurs opérations, causant ainsi l’empoisonnement de milliers de Péruviennes et Péruviens par des métaux toxiques5. Immunodéprimées, ces personnes affectées par les métaux toxiques sont plus vulnérables aux maladies comme la COVID-19. Elles doivent se battre pour obtenir de l’État les traitements spécialisés auxquels elles ont droit selon la Constitution.

Si l’État ne remplit pas son obligation de réglementer adéquatement les compagnies minières, cela est dû en partie à la forte influence, sur les pouvoirs exécutifs et législatifs, de puissants lobbies qui continuent d’affaiblir les cadres réglementaires, les contrôles et les sanctions relatifs à l’environnement, contribuant ainsi à des politiques publiques favorables au secteur minier. Ces lobbies ont même réussi à influencer la nomination des fonctionnaires responsables des réglementations, bafouant ainsi les droits à la vie, à la santé et à un environnement sain. Cela a particulièrement affecté les populations autochtones, en les dépossédant de leurs territoires
ancestraux, en falsifiant les consultations préalables, compromettant ainsi leur existence même.

Le problème a été bien résumé par le Cardinal Pedro Barreto, archevêque de Huancayo, une région gravement affectée par les activités minières et métallurgiques. Lors d’une audience devant la Commission interaméricaine des droits de l’homme, il a dit : « Notre objectif dans cette audience, est de témoigner de l’angoisse et de la souffrance de plusieurs de nos soeurs et de nos frères suite aux conséquences d’une activité extractive de plus en plus dévastatrice, de plus en plus menaçante, qui n’a pas de visage humain et aucune éthique »6.

Plusieurs des pays d’où proviennent les compagnies minières internationales s’apprêtent à adopter des lois sur la diligence raisonnable. Cependant, nous constatons que la communauté d’affaires péruvienne n’a aucun appétit pour de telles lois. Au Pérou, nous, la CEAS (la Commission épiscopale pour l’action sociale) avons participé à la démarche menée par les Nations unies pour élaborer un plan d’action national sur les entreprises et les droits humains, afin de garantir le respect des normes sur les droits humains et l’environnement, mais le milieu des affaires cherche désespérément à en influencer la mise en oeuvre. Nous estimons donc qu’il est primordial que les
pays passent de régimes volontaires de conformité à l’adoption d’un instrument juridiquement contraignant sur la question des entreprises transnationales et des droits humains, tel que proposé par le Conseil des droits de l’homme des Nations unies7.

Étant donné la faiblesse des institutions péruviennes et le laxisme de leurs réglementations, il faut que les pays d’où proviennent les compagnies opérant au Pérou, et particulièrement le Canada, mettent en place des critères de diligence raisonnable que celles-ci devront respecter. Ces pays doivent réglementer les opérations de leurs compagnies et mettre en place des mécanismes de plaintes pour prévenir les violations qui affectent les territoires des communautés, mettent en danger les peuples autochtones, et risquent même de les faire disparaître.

Nous connaissons l’existence du projet de loi C-262 du parlement canadien, qui devrait exiger des compagnies qu’elles exercent une diligence raisonnable en matière de droits humains et d’environnement avant d’entreprendre des opérations dans un autre pays8. Nous accueillons cette initiative avec foi et espoir. Nous demandons aussi à l’industrie minière canadienne de soutenir ce projet de loi qui est conforme au cadre de référence e3 Plus de l’ACPE pour une exploration minérale responsable9.

Nous nous joignons aux évêques d’Amérique latine dans leur appel « aux gens d’affaires, aux investisseurs et aux gouvernements, à revoir l’envergure des activités économiques basées sur l’extractivisme, afin que la durabilité de la vie, des territoires et de leurs habitants, aient préséance sur tout autre intérêt financier »10. Nous vous invitons aussi à partager la vision du pape François qui estime que « l’activité d’entreprise est une vocation noble orientée à produire de la richesse et à améliorer le monde pour tous »11.

Fraternellement,

Mgr Jorge Izaguirre Rafael, CSC
Évêque de Chuquibamba
Président du CEAS

 

1https://www.minem.gob.pe/minem/archivos/file/Mineria/PUBLICACIONES/VARIABLES/2021/BEM12-2021.pdf (en espagnol)
2https://www.rumbominero.com/peru/noticias/mineria/canada-mineria-peru-expomina/ (en espagnol)
3https://www.defensoria.gob.pe/wp-content/uploads/2022/05/Reporte-Mensual-de-Conflictos-Sociales-n.%C2%BA-218-%E2%80%93-
abril-2022.pdf
(en espagnol)
4https://convoca.pe/agenda-propia/familias-de-48-peruanos-muertos-en-conflictos-mineros-desde-2004-aun-no-encuentran (en espagnol)
5https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2020/06/peru-women-unite-against-toxic-metals-pollution/
6https://muqui.org/noticias/muqui-informa/cardenal-pedro-barreto-y-su-apuesta-por-una-pastoral-ecologica-en-peru/ (en espagnol)
7https://www.business-humanrights.org/fr/th%C3%A8mes-majeurs/trait%C3%A9-contraignant/
8 https://www.parl.ca/LegisInfo/fr/projet-de-loi/44-1/c-262
9https://www.pdac.ca/priorities/responsible-exploration/e3-plus/principles (en anglais)
10 Lettre pastorale du Conseil épiscopal de l’Amérique latine (CELAM) (en espagnol)
https://iglesiasymineria.org/wpcontent/uploads/2018/03/CARTA-PASTORAL-CELAM-2018.pdf
11 Laudato Si’, 129 (notre emphase)