National

Être à l’écoute des victimes sera au cœur de la Rencontre sur la protection des mineurs qui s’ouvrira jeudi prochain au Vatican. Ce sommet de quatre jours, du 21 au 24 février, sera d’ailleurs inauguré par la projection d’une vidéo présentant le témoignage de plusieurs victimes d’abus.

« Nous devons écouter ce que ressent une personne victime d’abus !» a exhorté le pape François. Dans sa lettre au peuple de Dieu, en août dernier, le Saint-Père observait que la douleur des victimes est «une plainte qui monte vers le ciel, qui pénètre jusqu’à l’âme et qui, durant trop longtemps, a été ignorée, silencieuse ou passé sous silence ».

Ce cri doit être entendu pour permettre une véritable prise de conscience du drame et de la souffrance des victimes. Aussi, en en décembre dernier, les membres du comité spécial nommé par le pape François pour préparer cette rencontre ont invité les participants à suivre l’exemple du Saint-Père et à rencontrer des victimes d’abus.

Comprendre en profondeur les conséquences de l’abus

Chaque conférence épiscopale a ainsi été appelée à contacter les victimes d’abus commis par le clergé dans leurs pays respectifs «pour entendre de leur bouche les souffrances qu’elles ont endurées». Mgr Paul-André Durocher, archevêque de Gatineau, insiste sur le sens et l’importance de cette écoute qu’il a expérimentée.

Je me suis retrouvé participant dans ce que l’on appelle un cercle d’écoute à plusieurs reprises: c’était un groupe de personnes, il y avait quelques victimes d’abus sexuels, il y avait aussi quelques chefs de l’Église qui étaient invités à venir écouter les victimes et il y avait un modérateur. J’ai aussi parlé directement avec des victimes d’abus sexuels commis par des prêtres.

Qu’est ce que cette écoute a changé en vous?

Cela m’a permis de comprendre évidemment plus profondément l’impact de l’abus sexuel sur la vie d’une personne. Je pense qu’il faut absolument écouter des témoignages pour comprendre jusqu’à quel point de tels événements peuvent marquer une personne de façon profonde et permanente. Ce qui m’a frappé, c’est que l’on dirait que ces personnes perdent confiance en elles-mêmes et dans la possibilité de relations stables. Souvent cette perte de confiance mène à des comportements qui ne sont pas très positifs pour eux-mêmes, où ils cherchent un peu à compenser ce manque qui a été créé par ces événements. On voit qu’il y a comme un effet en cascade des conséquences négatives de l’abus sexuel sur un enfant.

Comment le coeur doit-il être préparé à cette écoute des victimes, préparé à faire face à cet abîme, à ces blessures incommensurables?

Il faut certainement commencer par se faire petit et humble, nous allons écouter. Non pas pour donner des réponses, non pas pour donner des solutions, ni même pour conseiller. Je dois dire que notre formation et notre expérience comme prêtre, comme évêque, nous porte à vouloir donner des conseils, à vouloir consoler à vouloir accompagner, mais dans ce cas-ci, il s’agit tout simplement d’écouter, de se laisser toucher, et en ce sens là il faut accepter d'être soi-même vulnérable et impuissant. C’est peut être l’un des aspects les plus difficiles pour nous, qui sommes habitués à être en position de contrôle, il faut laisser le contrôle et accepter que c’est l’autre qui mène la conversation. Il faut aussi accepter de se laisser être objet d’une colère. Même si ce n’est pas moi qui est la source de la souffrance, je représente cette source là dans le regard de l’autre, et je dois accepter qu’il déverse sa colère sur moi, sans répondre. Cela demande de commencer par la prière. Il faut se mettre dans une attitude de serviteur, semblable au Christ. Il faut approcher l’expérience dans un esprit de prière.

Se faire petit, être touché, transpercé par la douleur... Pleurer également avec les victimes?

Oui absolument, ces récits peuvent être profondément touchants, bouleversants et il faut être prêt à pleurer avec eux.

Avez-vous le sentiment que tous les évêques peuvent avoir un coeur préparé à cette écoute, une conversion est-elle possible pour tous?

Je peux parler des évêques que je connais, et je crois que oui, les évêques que je connais sont capables. Nous, les évêques du Canada nous avons accueilli une victime lors de notre dernière réunion, qui est venue nous parler de son expérience… Je crois que les évêques sont non seulement capables, mais prêts à écouter les victimes d’abus sexuels. Je crois que nous qui sommes en poste maintenant, nous sommes entrés en position de responsabilité au coeur d’une crise terrible et nous voulons tout faire pour transformer, aider à transformer l'Église. D’une part pour que cela ne se répète plus mais d’autre part pour aider les victimes autant que possible à guérir.

Le parcours entrepris par l'Église a débuté il y a plusieurs années, plusieurs choses ont été faites, des cellules d’écoute ont été mises en place, des projets de sensibilisation, des lignes directrices... Mais ne sommes-nous pas encore trop dans l’aspect intellectuel des choses?

Au Canada, je ne crois pas que nous soyons au niveau intellectuel des choses, je crois que nous avons été confrontés pour la première fois à ce grave problème à la fin des années 1980. Les premiers documents de la Conférence des évêques catholiques du Canada datent de ces années-là. Au début des années 1990, nous avions émis des lignes directrices que nous avons commencé à mettre en place dans les diocèses. Il y a une longue expérience de près de 30 ans maintenant. De nombreux évêques ont rencontré des victimes directement, ont eu à prendre conscience d’une façon personnelle de tout ce que cela entraîne. Je crois que ici au Canada, nous sommes vraiment au niveau des personnes.

Comment à travers l’écoute, passer de la souffrance à l’espérance?

L’expérience même de l’écoute est une étape, tant pour les personnes qui écoutent que celles qui viennent parler. Il y a un chemin qui se fait qui permet à chacun de faire un pas. J’ai l’impression que le simple fait pour la victime de dire à quelqu’un ce qu’elle vit, de parler à une personne en situation de responsabilité, et de sentir que nous l’avons écouté, que nous l’avons cru, que nous avons été compatissants avec elle, cela fait partie d’un cheminement qui demeure long mais qui représente une étape essentielle pour elle. Pour les personnes qui écoutent, la prise de conscience, la sensibilisation qui s’en suit, mène à un engagement encore plus sérieux pour transformer le milieu ecclésial afin que cela ne se reproduise pas.