Le mystère des grottes de Lascaux
Général
En chemin vers les grottes de Lascaux, vieilles de 18 000 ans, je me demande que trouveraient les humains du futur comme vestiges de notre civilisation du 21e siècle. Des circuits miniaturisés, des couches de polymère, des détritus radioactifs, des mines éventrées, des débris de satellites ? Comment interpréteraient-ils ces artéfacts? Comme le signe d’une ancienne civilisation effondrée ou comme le prélude du dépassement de l’intelligence humaine?
LeVerbe - par Sarah-Christine Bourihane
En écoutant les indications de mon GPS vers ce lieu de la préhistoire, le contraste me saute aux yeux. Notre culture technologique de l’instantanéité n’aurait pas existé sans une lente maturation du génie humain dans la durée, réfléchissant à sa condition à la lueur d’une chandelle, s’étonnant devant l’incandescence d’un feu. Face à cet art d’une autre échelle temporelle, je suis médusée. Notre empire du périssable s’inscrit pourtant dans un continuum si consistant, grandiose.
Homo erectus se lève et contemple les étoiles. Néandertal allume le feu. Sapiens migre sur toute la terre, enterre ses morts, peint sur des parois rocheuses. Qu’est-ce que ces humains des origines ont à nous apprendre sur nous-mêmes, des centaines de millénaires plus tard ?
De l’art pour l’art
En chaude saison, en Dordogne, difficile d’imaginer des chasseurs-cueilleurs vivre dans le contexte climatique de la dernière glaciation. – 20°C en hiver, 15°C en été. Aux abords de la Vézère, les hommes de Cro-Magnon revêtent des peaux de rennes, vivent dans des abris, affrontent les troupeaux d’animaux hostiles pour survivre.
Mais voilà que certains d’entre eux s’adonnent à une activité différente des tâches reliées à la subsistance. Ils s’en affranchissent pour peindre sous terre, à la lueur d’une lanterne, où les cycles solaire et lunaire n’existent plus. Dans cet abri de l’intemporel, sans le savoir, ces hommes pérennisent les balbutiements de l’art pour des centaines de milliers d’années à venir.
Le phénomène n’est pas unique à Lascaux. Des peintures rupestres ornent des grottes sur les cinq continents. Entre environ l’an -40 000 et -10 000, on retrouve des traces de mains, des animaux, pour la plupart représentés avec précision, et peu d’êtres humains, aux traits vagues. D’une tribu à l’autre, les rudiments d’une pensée symbolique similaire s’incrustent sur les parois de roches, dans un territoire étendu.
L’homo religious
Au Paléolithique, il n’existe pas de documents écrits attestant du contenu des croyances des hommes préhistoriques. Ce que ces humains pensent demeure une énigme, fait l’objet des paris de diverses hypothèses.
L’historien des religions Mircea Eliade avance l’idée que le sacré est à la base de la conscience humaine et non un acquis dans le stade de son développement. Autrement dit, selon lui, l’Homo sapiens – celui qui sait qu’il sait – serait un être fondamentalement religieux. Si les thèses de l’auteur sont contestées, il est aussi fastidieux d’en démontrer le contraire.
Mais on sait déjà qu’autour de -100 000 ans, l’homme fait des sépultures. Des humains enterrés dans des positions particulières, avec des objets, ou enduits d’ocre rouge, couleur du sang, symbole de la vie, prouvent déjà une croyance en une vie après la mort.
Les peintures rupestres, quant à elles, ne se limiteraient pas à décrire le strict quotidien des chasseurs-cueilleurs. Pour Eliade, elles seraient le symbole de divers pans de la vie des hommes du paléolithique : «les habitudes du gibier, la sexualité, la mort, les pouvoirs mystérieux de certains êtres surnaturels et de certains personnages ». Plus que le dessin de tel ou tel animal en particulier, ces peintures seraient le signe d’un système de croyances.
Décrites comme la chapelle Sixtine de la préhistoire, les grottes de Lascaux faisaient-elles office de temple où se réunir pour raconter les mythes des origines, les recréer? Représentaient-elles un lieu sacré où invoquer les esprits des animaux pour s’assurer d’une chasse abondante ? Les hypothèses du chamanisme sont probables, quand on fait des parallèles ethnographiques avec les croyances des chasseurs-cueilleurs, différentes des peuples sédentaires ayant développé l’agriculture.
L’approche poétique
Selon l’écrivain français Jean Rouaud, qui a écrit sur la préhistoire, la poésie est un mode de connaissance valide pour approcher cette période de l’humanité qui le fascine. Il tente l’exercice de penser comme ces hommes du Paléolithique, dans une entrevue accordée à La vie.
«Ce qui fonde nos comportements, ce ne sont pas seulement des raisons économiques. Il y a aussi des raisons symboliques. Dans un climat glaciaire, avec peu de végétation, la vue porte loin. De grands troupeaux se déplacent. On observe la puissance du mammouth, la force du taureau, la rapidité du cheval. On s’identifie à eux et on les envie», suggère-t-il.
Au Mésolithique s’instaure un autre rapport aux animaux. La terre se couvre de forêt. Les grands troupeaux disparaissent du paysage. L’animal se fait plus absent des représentations, l’homme se met plus en scène.
Puis au Néolithique, l’humain se représente en train de le massacrer avec des arcs et des flèches. «L’homme peut s’affirmer comme maître et possesseur de la nature, inventant l’agriculture, faisant pousser les céréales, déplaçant des masses énormes de pierres», imagine l’écrivain.
Revenir au stade de l’émerveillement
Après les menhirs et les dolmens, viennent les pyramides, les temples, les cathédrales. Pour Jean Rouaud, qui y voit une progression, «la cathédrale est une grotte aérée, sortie de terre, au milieu de laquelle, à travers les vitraux, poussent des fleurs de lumière. C’est le dernier moment d’émerveillement de l’homme. Après, c’est fini», se désole l’auteur.
Quand l’intelligence artificielle en arrive à produire des œuvres d’art, la question du propre de l’intelligence humaine interpelle une fois de plus. C’est là qu’il convient de remonter aux sources.
Les hommes des cavernes se sont libérés des tâches de subsistance pour peindre, voire exprimer quelque chose de leur nature spirituelle. Comme on s’émerveille des premiers pas d’un enfant et de ses premières questions, cet art primitif nous rappelle sans doute que la splendeur de l’intelligence dépasse la rationalité instrumentale, qu’elle la précède.
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