Les moniales des Deux-Montagnes dans un festival de cinéma
National
C’est devant une centaine de personnes qu’a eu lieu la première du documentaire De l’autre côté. Projeté dans le cadre des Rencontres Internationales du Documentaire de Montréal, le film du réalisateur Lessandro Sócrates fait entrer les spectateurs dans l’intimité des moniales de l’Abbaye-des-Deux-Montagnes.
«Nous sommes très contentes du résultat. Lessandro a trouvé le sens de notre vie. Il l’a vraiment décelé, touché même.»
Assise devant les kiosques alimentaires du cinéma Cinéplex Odéon Quartier Latin, sœur Martine savoure ce moment passé hors les murs de son monastère.
Elle est accompagnée de sœur Louise qui tient à tout prix à savourer un popcorn avec du beurre et du sel. «Après tout, nous sommes maintenant de l’autre côté!», lance-t-elle.
Le cinéma est très animé en cette fin de soirée. Avec leur habit noir et blanc, les sœurs attirent le regard des passants qui pressent le pas pour ne pas manquer leur séance. Il y a beaucoup de bruit aussi. Nous sommes obligés de nous rapprocher pour nous entendre. Nous formons notre bulle, indifférents à l’agitation des lieux. Peu à peu, l’intimité s’installe entre nous.
Sœur Martine m’explique que les moniales sont très prudentes avant d’accepter une offre d’un journaliste ou d’un cinéaste. «Nous faisons très attention. Habituellement, les hommes qui entrent au monastère, ce sont des ouvriers. Nous sommes encore plus méfiantes vis-à-vis les médias, car ils peuvent vite nous ridiculiser».
L’apprentissage
C’est donc lentement qu’elles ont apprivoisé le réalisateur Lessandro Sócrates. Pour des raisons techniques et financières, la réalisation s’est échelonnée sur neuf années. Elle s’est terminée en 2021.
Avant de leur proposer la réalisation de ce documentaire, il les avait croisés lors du tournage d’un film portant sur un iconographe russe vivant à Montréal.
«Lorsqu’il a commencé son documentaire, il ne connaissait rien de nous », se rappelle sœur Martine.»
Bien que les sœurs aient laissé toutes latitudes au réalisateur, elles l’ont tout de même guidée dans son apprentissage de la vie monastique. «C’est un peu moi qui imposais le programme. Je lui disais : “Aujourd’hui nous pouvons faire cela et ceci”. Par exemple, le lundi, nous avons la lessive. Alors, il venait nous voir là».
«Il est venu souvent à la sacristie. Il voulait savoir comment je plaçais les ornements, comment je préparais l’ostensoir, comment je l’allumais. Cela l’intéressait beaucoup!», se remémore sœur Louise, sacristine.
Les résidentes du monastère ne se sont pas senties bousculées par la caméra. «Lorsqu’il venait à la messe, il se retirait dans le fond. Nous ne sentions pas sa présence. Il prenait des photos et filmait ce qu’il voulait», me dit sœur Martine.
Soudainement, Lessandro Sócrates apparaît à notre table. Les deux moniales se lèvent immédiatement pour l’accueillir. S’en suivent de longues accolades et des exclamations de joie. J’entends Lessandro lancer à plusieurs reprises: «Cela fait tellement longtemps!»
D’emblée, il revient sur ses premières rencontres avec les moniales et le monastère. «J’y suis allé plusieurs fois. J’ai assisté aux offices. Je parlais à sœur Martine et à sœur Louise. J’ai été à l’hôtellerie, au jardin. Lors ma première visite dans le cadre de mon documentaire sur l’iconographe russe, j’ai seulement vu l’atelier d’icônes. Ce n’est qu’en février 2014 que j’ai commencé à filmer avec ma caméra. Nous avons appris à nous connaître.»
La joie
Cette proximité se sent d’ailleurs tout au long du film. Elle est même accentuée par l’absence d’entrevues ou de voix hors champ.
Pour Lessandro, ce choix s’est imposé de lui-même. «Ce sont les réalisateurs qui font ce genre de film que j’aime le plus. Puis je ne pouvais pas faire de narration. Je ne pouvais pas prétendre être capable d’écrire des mots, de dire des choses qui expliqueraient leur vie, car je ne suis pas un spécialiste de la vie monastique. Je voulais juste les observer. Comme les moniales parlent entre elles, il y a quand même de la parole. Elles rient aussi…»
Effectivement, la joie est omniprésente dans le documentaire. Selon sœur Martine cette présence est tout à fait normale. «La joie est un don du Saint-Esprit. Là où est Dieu, il y a la joie. Il est tout amour et toute joie. Il nous veut heureux. Lorsque nous sommes avec lui, on ne peut pas faire autrement que d’êtres joyeux. La joie sort toute seule!»
Une des scènes finales du film démontre que cette joie est contagieuse. Après avoir filmé des sœurs descendant une côte en toboggan, le réalisateur est invité à délaisser sa caméra pour faire de même. La laissant tourner, il réalise devant le spectateur amusé sa toute première glissade hivernale sous les cris et les encouragements des moniales.
Certaines religieuses qui apparaissent dans le documentaire sont aujourd’hui décédées. C’est le cas de l’une d’entre elles, sœur Cécile, qui interpelle directement le réalisateur qui la filme avec son déambulateur. «Elle avait 98 ans à l’époque. Elle est morte à l’âge de 102 ans», précise Lessandro.
Sœur Martine souligne que le lancement du film (mardi dernier) coïncide avec la fête liturgique de Sainte Cécile, patronne des musiciens. «Je suis certaine que c’est un petit clin d’œil de sœur Cécile!»
Lorsque nous demandons si les sœurs ont regretté d’avoir laissé Lessandro réaliser son documentaire, sœur Louise, qui bientôt soulignera 59 années de vie religieuse, répond du tac au tac: «Oh non!» suscitant un éclat de rire général !
Le documentaire De l’autre côté sera présenté à nouveau le vendredi 25 novembre à 18 heures au Cinéplex Odéon du Quartier.
Yves Casgrain
Commentaire
0 Commentaire
Ajouter un commentaire