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(Présence-info) Le père Florian prend place à bord d’un vieux véhicule tout-terrain d’origine russe, abimé et défraîchi. Le sourire aux lèvres et les yeux plissés par le soleil, il tourne la clé, au bout de laquelle est suspendue une petite médaille de saint Christophe.

Le véhicule se met alors en marche, pour le plus grand bonheur des enfants assis à bord du véhicule.

Le père bénédictin venait de leur annoncer son intention de se rendre au lac Turkana pour une baignade. Ses paroles ont suscité l'euphorie des enfants, qui l'ont supplié de leur faire une place dans son véhicule.

Ce bénédictin est pourtant de noble extraction. À sa naissance, en 1957, il s'appelait Franz-Josef, prince de Bavière. Bien qu'il soit issu d'une lignée royale, il affirme avoir vécu une enfance tout à fait normale, en compagnie de ses six frères et sœurs. Il se souvient s'être assis tout près de son grand-père, dans une pièce remplie de jouets, et l'avoir entendu raconter les pérégrinations d'un ami de la famille, missionnaire en Papouasie-Nouvelle-Guinée. Dès cette époque, le jeune Franz-Josef s'est mis à caresser le rêve de devenir missionnaire.

C'est à l'abbaye de Saint-Odile (Sankt Ottilien), en Haute-Bavière, qu'il a prononcé ses vœux, faisant aussitôt sienne la «devise» officieuse des bénédictins: ora et labora, c'est-à-dire prière et travail. Depuis qu'il habite avec les membres de la nation Daasanach, au Kenya, ora et labora est devenu une espèce de mantra pour le père Florian. Au cours des dix années passées à leurs côtés, il a observé chez ceux-ci des transformations subtiles, souvent bénéfiques.

Acqueduc, mécanique et école

C'est en 2002 qu'il est arrivé à Illeret. Au départ, il devait s'agir d'un avant-poste missionnaire du diocèse de Marsabit; avant-poste qu'il espérait voir se transformer en paroisse en bonne et due forme. Cette paroisse est désormais érigée canoniquement sous le nom de Saint-Pierre-le-Pêcheur. L'église paroissiale est installée sur une petite colline qui surplombe la ville et à partir de laquelle on peut voir le lointain lac Turkana.

Le père Florian a contribué à la mise en place d'un système d'adduction d'eau dans la ville d'Illeret. Il a également contribué à la construction d'un atelier de mécanique, tout en venant en aide aux pauvres et en s'assurant que les garçons puissent aller à l'école. Lorsqu'on le questionne à ce sujet, le père Florian est formel: n'allez surtout pas croire, dit-il, que toutes ces libéralités relèvent d'une espèce de calcul. Il se présente plutôt comme un homme d'action en quête de solutions aux problèmes concrets vécus par la communauté.

«Quel est le problème? Quelle en est la cause? Et que pouvons-nous faire pour le régler?», demande le père Florian, en faisant ici allusion à l'atelier de mécanique. Il est d'ailleurs très fier de ce petit garage. Les personnes qui s'y arrêtent sont assurées qu'on leur vienne en aide. Il faut savoir qu'Illeret est un petit hameau perdu, situé à un jour de voiture de la ville la plus proche.

Contrer l'alcoolisme

Le père Florian a été en mesure d'apporter des solutions à un certain nombre de problèmes vécus par la communauté. Il fait cependant face à un adversaire tenace : l'alcoolisme. La culture des Daasanach insiste abondement sur les liens de solidarité qui doivent unir les membres d'une même famille. Lorsque l'un d'eux frappe à notre porte, l'on se doit de l'accueillir. Hélas, déplore le père Florian, il n'est pas rare que tous les membres d'une famille s'adonnent à des beuveries, et dépensent tout leur pécule dans l'alcool. Alors que plusieurs membres de leur famille sont dans le besoin.

«L'alcool permet de niveler les clivages économiques et sociaux. Riches ou pauvres, tout le monde boit», dit-il. «L'espoir passe par la jeune génération, à moins qu'elle ne sombre elle aussi dans l'alcoolisme.»

Conflits tribaux

Plusieurs membres de la communauté ont le sentiment d'être pris au piège. Des conflits constants opposent l'ethnie daasanach aux tribus voisines. Les Daasanach se plaignent d'être marginalisés politiquement, les postes décisionnels locaux étant tous entre les mains des membres l'ethnie Gabra.

«Nous leurs parlons avec nos mains», affirme Yierat Loins, l'un des patriarches de la communauté. Tout en prononçant ces mots, il joint le pouce, l'index et le majeur, afin de former un revolver avec ses doigts. «Personne au sein de ce gouvernement ne parle en notre nom», ajoute le vieil homme.

Selon Yierat Loins, l'accès aux pâturages et aux oasis est la principale source des conflits qui opposent les Daasanach aux tribus avoisinantes. Jadis, dit-il, les pluies étaient abondantes. Le bétail avait alors accès à de l'eau en abondance et à de gras pâturages.

Selon Mgr Peter Kihara Kariuki, l'évêque de Marsabit, la région est aux prises avec des sécheresses de plus en plus sévères. Ses diocésains sont en quelque sorte devenus «dépendants» à l'aide qui leur est offerte par les ONG et par les œuvres de charité ecclésiales.

En 2010, Mgr Kariuki affirmait que la région n'avait pas reçu la moindre goutte de pluie au cours de trois années précédentes. Ou presque. «L'eau de pluie est extrêmement rare et rarement potable. Les habitants doivent donc s'en remettre aux citernes d'eau potable disséminées sur le territoire par les autorités gouvernementales. Certaines personnes doivent parfois franchir des dizaines de kilomètres pour s'approvisionner en eau», disait-il.

Cinq ans plus tard, le portait n'est peut-être plus aussi inquiétant. Cela dit, une sécheresse de cette envergure pourrait très bien survenir à nouveau.

C'est en partie pour aider la communauté à faire face aux défis qui s'abattent sur elles que le père Florian héberge plusieurs garçons à la mission, dont le neveu du patriarche Yierat Loins. Ce dernier se réjouit d'ailleurs de cette initiative: en permettant à son neveu d'être scolarisé, le père Florian lui a fait, dit-il, un «cadeau précieux». Il doute que la guerre dans la région [ndlr: intervention militaire de l'armée kenyane afin de lutter contre les Shebabs, ces milices djihadistes somaliennes qui sèment la terreur dans le nord du Kenya] prenne bientôt fin. Ce dont il est sûr, cependant, c'est que l'accès à l'éducation est essentiel: c'est parce qu'elles sont plus éduquées que les Daasanach que les tribus rivales contrôlent l'appareil gouvernemental.

«Nous avons compris leurs tactiques et les utilisons désormais à notre avantage, en nous assurant que nos enfants aient, eux aussi, accès à l'éducation», ajoute Yierat Loins. «Nous doutons encore de la survie de notre tribu et de son mode de vie. Mais que pouvons-nous y changer? La seule issue qui s'offre à nous consiste à envoyer nos enfants à l'école», dit-il.

Un écosystème fragile

Au cours de leur histoire, note le père Florian, les Daasanach ont vécu dans un état d'équilibre précaire entre le recours à l'aide alimentaire d'urgence et les épisodes de sécheresse. L'écosystème fragile et impitoyable dans lequel ils vivent a périodiquement recours aux famines - et aux hécatombes qui lui sont associées - pour se régénérer.

L'aide alimentaire d'urgence a cependant des effets pervers. Assurées de pouvoir se nourrir, les populations pastorales hésitent à vendre leur bétail. Les animaux vont alors paître sans relâche dans les herbages semi-arides, contribuant ainsi au processus de désertification qui accable la région. La sécheresse est aussi une source de profit pour la région. Or, les sommes investies dans le nord du Kenya ne permettent pas de s'attaquer aux sources du problème, ni de prévenir le processus de désertification. D'autant que la région est isolée géographiquement, ce qui empêche les ONG de s'y installer.

«Tout le nord du pays fait face à ce problème», note le père Florian. «Les agences d'aide investissent des sommes colossales dans la région, mais seulement à très court terme. Rien n'est fait à long terme afin de prévenir les épisodes de sécheresse. On s'attaque aux symptômes mais pas aux causes de ce phénomène. Pour la simple et bonne rasions que cela demanderait qu'on apporte des changements en profondeur aux façons de faire», dit-il.

Selon le père Florian, l'une des solutions à ce dilemme consiste à mettre en place un système de troc: les populations pastorales échangeraient leur bétail contre de l'aide alimentaire d'urgence. Cela favoriserait non seulement la survie de ces communautés mais aussi la protection des écosystèmes fragiles de la région.

«Ce n'est pas encore un désert», dit le moine bénédictin, tandis qu'une rafale de vent souffle un nuage de sable sur tout l'horizon. «Mais, si rien n'est fait, ce le sera très bientôt.»


Christena Dowsett, Catholic News Service
Trad. et adapt. Présence - information religieuse