Montréal

Le Parlement fédéral s'apprête à adopter le projet de loi C-7 élargissant les conditions d’admissibilité à l’aide médicale à mourir à des personnes, certes souffrantes, mais qui peuvent avoir encore de nombreuses années à vivre et qui ne sont pas nécessairement en fin de vie. Maria-Régina, nous témoigne de son implication au SASMAD (service d'accompagnement spirituel des personnes malades ou âgées à domicile).

Ellen : Maria-Regina, vous  faite partie de l’Équipe du Sasmad.  Dites-nous quelques mots sur votre implication au Sasmad et le  Service lui-même.

M-R : Avec plaisir. Je fais partie du  Service Sasmad du diocèse catholique de Montréal.  J’ai joins l’équipe, il y a un peu plus de 2 ans.  Nous couvrons plusieurs secteurs  sur  l’Île de Montréal, Laval, Repentigny.  Ce Service  existe depuis plus de 25 ans. Il a été mis sur pied pour  répondre au grand besoin de présence humaine et spirituelle des personnes ainées et malades isolés à domicile. Les demandes  d’accompagnement spirituel proviennent des CLSC, des milieux communautaires, des paroisses, des familles et des personnes elles-mêmes.  Nous  avons un grand réseau de bénévoles (multilingue) pour assurer  un accompagnement  à travers un jumelage personnalisé et régulier. C’est gratuit. Dans le contexte difficile de la pandémie, nous nous sommes adaptés et les accompagnements  se font actuellement par téléphone. Nous avons mis en place une ligne d’écoute et de soutien spirituel. Ce service  va durer nous l’espérons. 

Quand on aborde la dimension spirituelle cela a trait à  tout ce qui donne  vie  à la personne visitée.  Nous ne sommes pas catéchètes, ni thérapeutes ni   intervenants sociaux.  Les bénévoles reçoivent une formation de base sur la qualité de l’écoute et  comment être  présent à l’autre dans le respect de sa dignité et le non-jugement.  Nous portons des valeurs de compassion, d’accueil, d’ouverture de grande humanité.  Nous offrons aussi un volet religieux  pour les personnes qui le souhaitent. Une personne peut vouloir par exemple s’adresser à un prêtre, un rabbin, un iman. Elle peut vouloir prier avec la bénévole, recevoir la communion ou un autre sacrement.  

La personne visitée  est au cœur de la rencontre.  L’écoute, peut sembler facile à prime abord. Pourtant, c’est un long apprentissage.  Une disposition intérieure  où «  l’oreille apprend à s’incliner » à la parole de l'autre. Tout part de ce qu’elle veut bien partager :  Une parcelle de son histoire, l’amour de son oiseau ou son chat, ses souvenirs du passé, ses deuils,  son vécu routinier, se accomplissements, sa souffrance, son émotion,  son souhait de jouer aux cartes ou  regarder ses photos. Exprimer ce qu’elle porte à l’intérieur et qu’elle ne saurait dire à ses enfants, partager ses croyances. Elle peut vouloir aussi prier  poser des questions, dire ses inquiétudes etc...  La dimension spirituelle est vaste comme voyez. 

Ellen: En lien avec le thème d’aujourd’hui, “Choisir d’espérer et  de vivre”, dites-nous Maria,  faites-vous face à des situations de grande souffrance ?Avez-vous déjà eu des personnes qui ont eu recours  ou qui ont été concernées  par  « l’aide médicale à mourir » ? 

MR- Oui et oui !  J’ai une situation que je vais vous partager. Situation profondément émouvante qui me fait bien réfléchir. Mais d’abord, j’aimerais « mettre un peu la table » comme on dit.  En relatant cette situation, j’ai conscience que c’est un sujet délicat et très sensible. Nous sommes dans un contexte de société actuellement en grande mutation où  la loi à légiférer depuis quelques années sur  le droit  de devancer et mettre un terme à la vie d’une personne malade, moyennant certaines conditions. La législation fédérale va   même entrevoir d’élargir davantage les critères (loi C-7) d’admission  au recours « de l’aide médicale à mourir. ». Ça suscite chez moi des préoccupations. Ce n’est toutefois pas mon propos d’en faire un débat ici. 

Présentation de la situation pathétique de M. Daniel. Il m’a beaucoup ému.

Il s’agit d’un Monsieur dans les 70 ans, marié,  père et grand-père.  Retraité depuis quelques années. Il m’autorise généreusement à  vous parler de son histoire de vie  dans l’épreuve et  la  leçon qu’il en tire. Je le remercie profondément de m’autoriser  à vous partager son récit. M. Daniel avant de tomber malade, était un homme retraité-actif,   prenant soin de son  épouse en perte importante d’autonomie. Il était son  proche-aidant principal outre les services qu’elle recevait.  

Du jour au lendemain, M. a perdu totalement  l’usage de ses jambes. Il a contracté un virus  galopant affectant ses nerfs périphériques. Le  syndrome Guillain-Barré.  Il a été hospitalisé tout de suite. Sa situation s’est malheureusement aggravée. Il s’est retrouvé en situation de devoir subir une trachéotomie pour l’aider à respirer.  Sa condition  était complexe avec des  problèmes  de synchronisation pour respirer, s’alimenter, parler.  L’expérience de son hospitalisation  a été excessivement difficile.   Non seulement  à cause de la perte subite de santé si éprouvante en soi mais malheureusement  en raison d’une  pression  qu’il a subie par le corps médical.   À maintes  reprises m’a-t-Il  dit : il lui fut offert de recourir à « l’aide médicale à mourir ».  L’une des fois notamment, Il m’expliqua   qu’on  lui avait fait un commentaire que dans sa condition, il passerait le restant de ses jours à regarder le plafond. Quelle serait sa qualité de vie ?  Quand M. m’en a parlé la  1ière fois, j’étais sans mot, choquée, émue. J’écoutais. Je réagissais intérieurement me disant : «  est-ce possible tout ce qu’il a subi ». « Qu’est-ce qu’il a supporté mon Dieu ». 

Quand on lui faisait la proposition  de « l’aide médicale à mourir » en spécifiant qu’il ne sentirait rien, il hochait la tête négativement,  à chaque fois. Si M. ne pouvait pas parler, il n’était pas sourd, il était entièrement lucide, sa conscience n’était pas engourdie. Sa conviction en lui de vouloir vivre inébranlable. Il ne voulait pas abréger sa vie volontairement.  Il me l’a dit encore récemment. Chaque jour, m’a-t-il dit, il priait. 

Cette approche du corps médical, les tentatives  à  lui soumettre l’avenue possible de l’euthanasie sous l’appellation : « aide médicale à mourir » a suscité chez M.  de la peur, de l’angoisse qu’il m’a nommé. On peut l’imaginer ! Dans sa vulnérabilité, il pensait à ce qu’on pouvait faire avec lui. Il était inquiet dans les mains des soignants. C’est paradoxal quand même !

Il  a fallu l’intervention de ses enfants lorsque l’équipe des  soins a voulu les rassemblés. Les enfants se sont faits porte-parole de leur père.  Ils ont demandé que cesse cet acharnement,  qu’on ne lui fasse plus aucune proposition « d’aide médicale à mourir ».  Ce fut respecté. 
Qu’est-ce qui est arrivé à M ?

Comment sa situation a-t-elle évoluée ?   

Un ixième  médecin est venu le voir. Il s’est interrogé sur ce qui nuisait chez M. au niveau de la déglutition et des voies respiratoires. Il lui a passé des examens spécialisés. Il lui a proposé une opération pour l’aider. M. a consenti tout de suite. L’opération a été un succès. M. a retrouvé sa capacité à respirer, à avaler  et à parler peu à peu. Après, des mois d’hospitalisation, il a été hébergé quelques semaines en CHSLD.  Au bout d’un certain temps, il a décidé de retourner chez lui.  

Quand j’ai reçu sa demande d’accompagnement spirituel via le réseau de santé, M. était déjà de  retour chez lui auprès de sa femme.  Cela faisait près    qu’il était revenu à la maison. Mais le souvenir de son expérience l’a marqué et il avait besoin de soutien humain, spirituel  pour partager sur son vécu. Il se sentait  isolé car plus en mesure  de sortir. 

Ce qui est frappant quand on rencontre M. c’est son pétillement de vie. J’ai été touché par sa voix pleine d’aplomb quand lui et sa femme m’ont accueilli dans leur cuisine. Son expérience douloureuse ne lui a pas enlevé aucunement sa joie de vivre. Et, il lançait des pointes d’humour en plus. Aujourd’hui, Il a recommencé  à marcher  pas à pas. Il fait du progrès avec de la physio. 

Au moment où je vous parle, Il arrive à se lever maintenant seul de son lit.  Chaque jour, il fait quelques pas avec sa marchette. Il est content quand il s’améliore évidemment.  Il aime être à la maison, sortir, voir sa famille. Content, quand il regarde sa femme, quand ils se parlent.

J’ai demandé à M. quel message il aimerait transmettre de son expérience. Qu’est-ce qu’il retient comme leçon.

« Lutter jusqu’à la fin, à la fin de la vie qui vient », « Dieu est le maître de notre destinée »

C’est un message fort, plein de conviction qu’il m’a donné pour nous. Je le vois attaché à la vie jusqu’au bout. Il aime la vie. Il est  conscient de tout l’effort qu’il a besoin d’investir chaque jour. Il ne vit pas avec des lunettes roses. Il sait ce que ça coûte. Mais sa joie de vivre l’emporte.  Sa foi  est enracinée dans son cœur profond. Il  m’a redit qu’il priait tous les jours. Il m’a donné un grand témoignage de conviction sur la valeur  de la vie, de la vie sacrée.  

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