Montréal

«La meilleure façon de surmonter nos peurs de l'autre, c'est de le rencontrer, de le connaître, c’est de le reconnaître», a déclaré l'archevêque de Montréal, Mgr Christian Lépine, lors d'un panel interreligieux le 17 novembre 2017.

Le lendemain de l'assermentation de la nouvelle mairesse Valérie Plante, cinq leaders religieux ont discuté de laïcité, du vivre-ensemble dans une ville diversifiée comme Montréal et des implications de la nouvelle loi sur la neutralité religieuse de l'État adoptée le 18 octobre.

Conscients que des tensions existent dans la société québécoise sur la place que doit occuper le discours religieux dans l'espace public, un leader juif, deux évêques, un penseur autochtone et un imam ont répété l'importance du dialogue et de l'ouverture pour combattre les préjugés et l'intolérance auxquels font face bien des groupes minoritaires à Montréal.

Promouvoir le dialogue

«Tous, nous pouvons exprimer des convictions différentes, mais chacun porte une réalité plus profonde, c'est celle de sa propre humanité», a estimé Mgr Christian Lépine, archevêque de Montréal.

Dans une société aux identités multiples, «il ne faut pas voir que ce qui nous divise, mais ce qui nous rassemble. En rencontrant l'autre qui est différent de nous, on reconnaît qu'il cherche lui aussi le bonheur et la paix», a ajouté l'archevêque.

Selon lui, Montréal doit avant tout demeurer «une terre d'accueil, une plateforme ouverte sur le monde, et certainement pas un îlot fermé».

«Il ne faut pas nier nos peurs, elles existent, mais il faut les surmonter. Et la meilleure façon de surmonter nos peurs de l'autre, c'est de le rencontrer, de le connaître, c'est de le reconnaître», a-t-il lancé.

Cette ouverture tarde toutefois à se manifester envers les communautés autochtones, a déploré l'Innu Jean-Louis Fontaine. «C'est l'ensemble de nos croyances spirituelles qui vous sont inconnues ou qui sont mal connues. D'où les préjugés qui eux mènent souvent au racisme.»

Ancien président de la Communauté sépharade unifiée du Québec, le docteur David Bensoussan croit que la cause des préjugés envers des groupes minoritaires, y compris les juifs, c'est avant tout l'ignorance.

Cette ignorance entraîne des amalgames qu'il faut démonter, a renchéri l'imam montréalais Mahdi Tirkawi, de l'Association musulmane du Canada. «On fait aujourd'hui des associations simplistes entre des comportements minoritaires de la part de groupuscules et ceux de la très vaste majorité des musulmans», a-t-il déploré.

La société, tout comme les religions, doivent multiplier les occasions de rencontre et de dialogue entre citoyens eux-mêmes, mais aussi entre les individus et les autorités civiles, ont insisté les panélistes.

«En dialoguant, en rapprochant les cœurs, on se comprend mieux, on avance», a ajouté le docteur Bensoussan, saluant l'initiative menée par la Fondation du Grand Séminaire de Montréal, organisatrice de cette rencontre interreligieuse que l'on souhaite répéter chaque année «pour mieux faire comprendre à la société québécoise la diversité des croyances et les pistes pour avancer ensemble et ne plus avoir peur des autres religions».

Laïcité et neutralité

«Si la laïcité, c'est la neutralité d'un l'État qui ne va favoriser aucune communauté, c'est un bien pour tous», a dit l'imam Tirkawi. «Chaque spiritualité, chaque tendance religieuse peut se retrouver dans un même espace.»

Il estime, dans de telles conditions, que la laïcité «est une chance donnée à chaque citoyen d'exercer ses droits civils».

Pour Mgr Lépine, il faut faire une distinction entre les concepts de laïcité ouverte et fermée. «La laïcité ouverte, c'est une excellente chose. La société est vue comme un espace de rencontre des diverses convictions», dit-il.

La laïcité fermée «décide que certaines formes de convictions n'ont pas de place dans l'espace public», a regretté l'archevêque catholique de Montréal. «Si on me dit que si je porte un signe religieux, je dois disparaître, on n'est certainement pas en train de promouvoir le respect», a-t-il ajouté, déplorant que la loi sur la neutralité religieuse de l'État propose d'«étonnants moyens» pour réaliser ses objectifs de dialogue et d'ouverture.

«Transformer les gens en citoyens de seconde zone, ce n'est pas un bon moyen», a-t-il dit.

Mgr Mary Irwin-Gibson, évêque anglicane de Montréal, répète qu'elle n'apprécie guère le projet de loi 62 adopté le mois dernier. «Je me suis déclarée contre cette loi que je trouve intolérante.»

Cette nouvelle loi exige que dorénavant tous les services publics soient donnés et reçus à visage découvert. Les dispositions de la loi doivent aussi être observées par les municipalités.

L'évêque anglicane note qu'aborder la question des vêtements religieux est toujours sensible. Elle rappelle que, jeune prêtre, alors qu'elle marchait dans l'est de Montréal, un homme a délibérément craché devant elle. «Est-ce parce que je portais un col, parce qu'il en avait contre l'Église ou contre Dieu? Peut-être en avait-il contre le fait que j'étais une femme?», a-t-elle demandé, toujours bouleversée par ce geste.

L'imam Mahdi Tirkawi, sans nommer explicitement la question du visage découvert, déplore que cette loi vient «mettre une pression sur certaines personnes afin de les priver de ce qui a de la valeur pour elles, de les priver de leur dignité».

«La laïcité ne doit pas exclure des personnes», a affirmé le jeune imam.

En entrevue, le conseiller municipal Craig Sauvé a dit avoir pris bonne note des réflexions exprimées par les leaders religieux montréalais. Il a répété que la nouvelle administration municipale «s'est engagée à ne pas faire de politique sur le dos des communautés culturelles, religieuses ou linguistiques». Il reconnaît que la diversité est une grande richesse qui crée parfois des tensions. «Notre administration sera là pour faciliter le dialogue et apaiser les tensions.»