Général

À l’occasion du 1er mai, le Conseil Église et Société de l’Assemblée des évêques catholiques du Québec adresse un message de soutien aux travailleuses et aux travailleurs. Celui de cette année porte l’empreinte de l’épreuve qu’est la pandémie de la Covid-19. Il est animé par la prise de conscience des défis que la relance économique et sociale pose à notre société, à la lumière du message évangélique du Christ Jésus sur la solidarité et la justice.

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Des emplois durement touchés

Beaucoup de travailleuses et de travailleurs ont vécu la perte de leur emploi, avec son poids d’incertitude et de détresse. Les milieux de la restauration et de la culture, en particulier, ont été atteints dramatiquement. Plusieurs diocèses et paroisses, privés des revenus habituels et délestés de plusieurs activités, ont mis à pied tempo­rairement une partie de leur personnel.

Dans le contexte où un grand nombre d’emplois ont été suspendus ou supprimés, nous savons que les femmes et les jeunes ont été les plus durement touchés. Pour plusieurs personnes, cette situation a mis en cause un projet de carrière, voire un projet de vie, tout en émoussant leur confiance en eux-mêmes et en l’avenir. Les besoins des familles à faible revenu ont conduit bon nombre d’entre elles à recourir aux banques alimentaires, lesquelles sont parvenues à répondre­ aux besoins croissants (35 à 40 % d’augmentation observée)­ grâce à la générosité des citoyennes et citoyens.

La première priorité du plan de relance attendu consistera certaine­ ment à favoriser le retour à l’emploi dans les divers secteurs qui ont été particulièrement ébranlés, tout en offrant des conditions de travail­ adéquates. Cela doit passer par la hausse du salaire minimum, sans oublier le besoin criant de congés payés pour des raisons ­familiales ou de santé. Ces défis exigent l’engagement des gouver­nants, des employeurs et des syndicats, des citoyens et des membres des communautés ecclésiales.

La dignité inaliénable de la personne humaine, dont la racine et la garantie se trouvent dans le dessein créateur de Dieu, ne se réduit pas à la situation socioéconomique d’une personne. La qualité des conditions d’existence affecte toutefois les possibilités, pour une personne, de réaliser sa vocation intégrale. En ce sens, dans le monde actuel, « La grande question, c’est le travail… Il n’existe pas pire pauvreté que celle qui prive du travail et de la dignité du travail », comme l’affirme le pape François.
 
Des milieux de travail particulièrement affectés : santé et éducation

La pandémie a affecté, de diverses façons, les conditions de travail d’un grand nombre de nos concitoyennes et concitoyens. Les tâches du personnel de la santé se sont multipliées et élargies, en exigeant de nombreuses adaptations : horaires et vacances chamboulés, stress élevé causé par l’ampleur de la tâche et le risque d’être contaminé, proximité constante avec la mort, hantise d’avoir à décider quelle personne serait privée de soins médicaux au moment où la surcharge du réseau hospitalier imposerait un délestage.

C’est tout le filet social relié aux soins de santé qui a été remis en question et auquel la relance doit s’attaquer : le système des CHSLD et des résidences pour aînés, la grande pauvreté de l’offre des soins à domicile, les conditions de travail des infirmières et infirmiers, les bas salaires des préposées aux bénéficiaires et à l’entretien, la préca­rité des personnes migrantes sans statut reconnu occupant les postes de soutien.

Le système scolaire que l’on a voulu, avec raison, préserver le plus possible, a aussi exigé des efforts considérables de tout son personnel pour s‘adapter aux conditions qui ont prévalu depuis mars 2020. Les mesures de relance devront prendre en compte les besoins des enseignantes et enseignants pour soutenir l’entreprise pédagogique durement mise à l’épreuve, faisant sans cesse appel à leur créativité et à leur capacité de soutenir les élèves et leurs parents. Une attention particulière devra être portée aux enfants vivant avec des difficultés d’apprentissage ou un handicap.

La transformation du travail : télétravail et santé mentale

Dans les entreprises et bureaux, on observe que le télétravail a triplé depuis le début de la pandémie. Cette pratique a contribué à combattre la Covid-19 en réduisant les contacts rapprochés et les risques d’infection. Toutefois, les conditions d’une telle organisation du travail peuvent s’avérer très contraignantes pour les familles, d’autant plus lorsque les écoles et les garderies ne sont plus accessibles.

Le télétravail est sans doute là pour rester, mais il faudra prévoir des mécanismes adéquats pour en diminuer les effets négatifs. On le fera en appuyant la mise en place de lieux et d’horaires adaptés, favorisant les interactions sociales au profit de la santé mentale des personnes. À ce sujet, le pape François rappelait récemment que « la connexion numérique ne suffit pas pour construire des ponts ».

Les nombreux problèmes de santé mentale reliés à la pandémie interpellent direc­tement notre système de santé et de services sociaux sur la disponibilité et la qualité des services offerts par la collectivité. Ils interpellent aussi les entreprises sur ­l’organisation humaine du travail et les occasions de sociabilité qu’elles favorisent.

Pas de retour à la situation d’avant la crise

La reprise économique ne doit en aucun cas signifier le retour à la situation antérieure à la pandémie, qui était marquée par des inégalités croissantes. Elle ne devra surtout pas nous faire oublier les personnes qui seront laissées sans travail, sans épargne et sans espoir. Les personnes qui étaient déjà sans emploi ont peu bénéficié d’aides supplémentaires de la part des gouvernements pendant la pandémie : pour elles, il n’y a pas de sortie de crise à l’horizon. Cela est inacceptable.
 
Beaucoup d’organismes et de chercheurs proposent que seul un programme de ­revenu citoyen garanti serait apte à s’attaquer à ce phénomène. Le pape François a proposé de réfléchir à « un salaire universel qui reconnaisse et donne de la dignité aux tâches nobles et irremplaçables » qu’accomplissent les membres des mouvements populaires4. Nous croyons aussi qu’il est temps aujourd’hui, au Québec, de considérer sérieusement l’implantation du revenu minimum garanti. Ce serait une bonne façon, pour les hommes et les femmes politiques, d’exercer la tâche que le pape François leur reconnaît : « Les politiques sont appelés à prendre soin de la fragilité des peuples et des personnes. »

Des priorités d’action pour une relance juste

La relance juste passera par une vraie reconnaissance de la dignité et du travail des ­personnes, majoritairement des femmes, qui font vivre les services publics à tous les échelons (santé, éducation, services sociaux, services communautaires).

La relance économique devra passer par l’amorce rapide d’une transition énergétique porteuse­ de justice environnementale (respect des droits des peuples autochtones, protection de l’eau, de la terre et des forêts), basée sur le respect des droits des ­travailleuses et des travailleurs dont l’emploi est touché.

La relance de notre vie collective passera aussi par le maintien et le développement d’un solide filet social qui permettra à nos communautés de faire face aux crises à venir. Seule une révision de la fiscalité peut assurer à long terme un meilleur partage avec les moins nantis.

La relance attentive à la dignité des personnes, des communautés et de notre Maison ­commune devra être le fruit d’une approche concertée avec tous les acteurs de la société civile. Nous invitons plus particulièrement les communautés chrétiennes à développer des partenariats dans leurs milieux et à participer activement à cette concertation pour préparer l’avenir.

En cette année que l’Église catholique consacre à saint Joseph, époux de la sainte Mère de Jésus et compagnon des travailleurs, nous pouvons nous unir à cette prière du pape Pie XII adressée à saint Joseph : Soyez avec nous dans nos moments de prospérité, quand tout nous invite à goûter honnêtement les fruits de nos fatigues; mais soutenez-nous dans les heures de tristesse, alors que le ciel semble se fermer pour nous et que les instruments du travail eux-mêmes paraissent se rebeller dans nos mains.


Il y a urgence d’agir, ensemble !