L’extraordinaire destin d’un réfugié
International
(Présence-info) Déraciné, ne parlant pas français, il a vécu dans la précarité à Québec, puisant dans sa famille et dans sa foi la force de continuer. Aujourd’hui diacre permanent, voici l’extraordinaire destin d’Arismendy Lozada.
Figure publique respectée dans son pays, il a dû s'enfuir au Canada pour rester en vie. Il est responsable de la communauté latino-américaine de l'archidiocèse de Québec.
Arismendy Lozada jette un coup d'œil à son cellulaire. Devant ses yeux défile un bric-à-brac de nouvelles variées où s'entremêlent fútbol, religion et politique. S'il se passionne pour le club de soccer colombien Santafecito de Bogota dont il continue de suivre les exploits depuis son bureau au presbytère de l'église Saint-Mathieu de Sainte-Foy, celles sur les réfugiés syriens captent particulièrement son attention.
«On arrive avec une valise pleine de rêves. Quand on atterrit, tout est merveilleux», dit-il au sujet des réfugiés qui foulent le sol canadien. Il en sait quelque chose, puisque pour éviter d'être tué, il a dû fuir la Colombie en avril 2003 pour se réfugier au Canada.
Il suit de près l'arrivée des 25 000 Syriens. S'il pouvait les accueillir personnellement, il leur dirait: «gardez espoir, gardez la foi».
Figure publique respectée
Originaire du département de Caqueta, dans le sud, il devient au fil des années un journaliste vedette dans sa région, touchant à la presse écrite, radiophonique et télévisuelle. Reconnu pour son approche sociale, il est même élu journaliste de l'année en 1989.
Sa vie prend une autre direction quand, malade, il contracte l'hépatite C lors d'une transfusion sanguine à l'hôpital. Avec une grave cirrhose du foie, il frôle la mort. «Quand on est face à la mort, on commence à se questionner», dit-il.
«J'étais catholique, comme tout le monde. Occasionnellement j'allais à messe. À cette époque, j'avais une station de radio dans la petite municipalité où je suis né. Un jour, le prêtre m'a demandé une heure pour diffuser une messe en direct. Je me suis dit que ça allait me coûter de l'argent et j'ai dit oui pour qu'il me laisse tranquille», se rappelle l'ancienne vedette. «Mais après ma maladie, j'ai commencé à faire ma quête. Qui suis-je ? Où suis-je ? Pourquoi suis-je ici ? Et un jour je me suis demandé ce que Dieu voulait de moi...»
Pour lui, la maladie a été le début d'un processus de conversion. Il est passé, dit-il, de catholique mondain à catholique engagé. Engagé au point d'entrer au séminaire et, ironie du sort, de voir ce prêtre qui l'importunait pour diffuser sa messe devenir son directeur spirituel. Après un an, il réalise que la prêtrise n'est pas pour lui - il a rencontré celle qui va devenir son épouse - mais convient avec son évêque de poursuivre sa formation en vue de devenir diacre permanent.
Sa vie menacée, il se réfugie au Canada
En raison de sa notoriété et de son engagement social, le gouvernement lui demande de devenir conseiller pour le processus de paix entre Bogota et les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC). C'est cet engagement pris entre 2000 et 2003 qui précipitera son départ pour le Canada.
«Je recevais des menaces des paramilitaires et des FARC. J'ai toujours demandé aux groupes d'arrêter les violations des droits humains: la vie humaine est la plus importante, peu importe le contexte. Mais un jour, on m'a dit: «toi, tu es un objectif militaire».»
Les menaces se font insistantes, par téléphone et en personne.
« Un homme est venu me voir dans mon bureau. Nous discutions et il a mis un pistolet sur la table en disant: «Tu as 72 heures pour quitter le pays. Si on te trouve après, tu es une personne morte.»», explique M. Lozada.
Une nouvelle vie
Forcé de fuir au Canada avec son épouse et leur fille, il atterrit à Québec où l'euphorie des débuts fait rapidement place à une dure nouvelle réalité : choc culturel, francisation, difficultés économiques. Il obtient des prêts et bourses pour étudier en service social au CÉGEP, mais doit se trouver un emploi pour réussir à faire vivre sa famille. Après plusieurs refus, il dégote un boulot en entretien ménager.
«Je vais faire une confession: la première nuit où je suis allé faire un entretien ménager, j'ai trouvé des salles de bain très, très maganées. J'ai pleuré. J'ai dit: «Seigneur, qu'est-ce que je fais ici?» Mais après les deuxième et troisième nuits, j'ai commencé à remercier le Seigneur: «Merci, grâce à cela je vais avoir un revenu pour nourrir ma famille.» Nous ne voulions pas être des profiteurs de système. Comme famille, nous avions un rêve, et à cause de ça on a cherché du travail.»
Désireux de poursuivre sa formation comme diacre permanent, il a avec lui toutes les attestations nécessaires qu'il présente au cardinal Marc Ouellet. Sa rencontre avec le prélat qui a déjà habité en Colombie marque un tournant pour lui.
«Quand j'ai rencontré le cardinal Ouellet, je m'attendais à une personne distante. Mais il m'a embrassé et m'a dit : bienvenue chez vous. Cet accueil a fait une différence pour moi», relate-t-il, ému.
Celui qui était alors archevêque de Québec le nomme agent de pastorale et lui demande en 2007 de s'occuper de la communauté latino de Québec, un poste qu'il occupe toujours. Parmi les 6000 membres de cette communauté, de 250 à 300 personnes assistent à la messe dominicale en espagnol.
«Notre but est de faire l'intégration. Pas d'avoir une pastorale pour rester entre nous et devenir un ghetto. On parle d'une pastorale de passage», précise M. Lozada.
Décès tragique d'un couple de la communauté
Devenu un leader communautaire ici même au Québec, il reconnait que certains moments sont plus difficiles que d'autres. Il a vécu des moments particulièrement pénibles au cours des derniers mois avec le décès d'un couple de catholiques colombiens tué dans un accident. Julian Esteban Muneton Vasquez, 29 ans, et son épouse de 30 ans enceinte de 8 mois, Ingrid Zamorano, sont morts le 30 août 2015 quand leur voiture a été percutée par Jade Morillon-Morrisette, une dame qui a grillé un feu rouge en conduisant sous l'effet de l'alcool, cellulaire en main. Arismendy Lozada les connaissait bien.
«Julian et Ingrid venaient à la messe en espagnol à l'église Notre-Dame-de-Foy. C'était un exemple d'intégration. Un an après leur arrivée, les deux étaient sur le marché du travail. Ils allaient commencer l'université en septembre, explique-t-il. J'avais béni son ventre à la messe.»
Valeurs
C'est lui qui a été le porte-parole de la famille pendant le procès qui a mené à la condamnation à six ans et demi de prison de la conductrice fautive. « Certains Colombiens ont dit : «Chez nous c'est 30 ans, 40 ans.» J'ai dit: oui, mais ici nous ne sommes pas en Colombie», rappelle le diacre permanent qui préfère s'inspirer de l'attitude de la mère de Julian.
«Comme communauté chrétienne, nous devons avoir l'amour, le pardon et la miséricorde. Quand [Jade Morillon-Morrisette] a plaidé coupable et a demandé pardon à la famille, la mère m'a dit: «Dans mon cœur, il n'y a pas de haine, pas de rancœur.» Le fait de présenter des excuses, même si c'est pour le protocole, c'est un acte de courage qu'on doit reconnaître. Alors, si la maman, qui vit la plus grande douleur, fait ça, c'est un message pour nous : nous devons avoir la compassion et la miséricorde pour les autres personnes. Et dans ce cas-ci, pour Mme Morissette et sa famille», insiste M. Lozada.
La vie doit continuer, dit-il, comme pour tous ces migrants, dont plusieurs musulmans, qui affluent présentement au Canada. «Quand on a l'amour, ça rejette la peur. Voilà ce que nous devons avoir : l'amour du prochain. Faire un accueil qui va faire une différence. C'est à chacun de nous de faire notre part pour cet accueil.»
«Nos frères et sœurs musulmans ont des valeurs. Ils vivent leur foi d'une manière, nous la vivons à notre manière, mais c'est la même foi. Et quand on a la foi, on a des valeurs. Chez nos frères musulmans, il y a énormément de valeurs», poursuit M. Lozada.
«Le Canada est une terre d'accueil, de paix, qui a une richesse inestimable : celle de ses valeurs.»
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