« Il ne faut pas avoir peur de la crise »
Montréal
Timothy Radcliffe est de passage au Québec. Invité par le Montmartre canadien et l’Institut de pastorale des Dominicains, ce dominicain britannique, ancien Maître de l’Ordre des Prêcheurs, vient donner des conférences à Québec et à Montréal sur le thème de l’espérance dans le monde aujourd’hui.
Dans son large habit blanc, son sourire est cordial malgré le décalage horaire. Il se rappelle gaiement son passage au Canada en 2008. Il avait alors pris la parole devant les supérieurs et supérieures des communautés religieuses du pays, les enjoignant à considérer l’avenir avec espoir malgré la baisse drastique des vocations.
Auteur prolifique, conférencier en demande, théologien estimé, il pose sur les problèmes de l’Église d’aujourd’hui un regard empreint de sollicitude, n'hésitant pas à insister sur le besoin de garder vivante l'espérance. Tout en appelant à changer de vieilles habitudes.
« Regardez les êtres humains: nous grandissons à travers les crises. Nous sommes comme ça. Et je crois que c’est le destin de l’Église. Il ne faut pas avoir peur de la crise », affirme-t-il d’emblée, d’une voix calme et mesurée.
Cette crise est double: abus sexuels d'une part, et virulence des attaques au sein même de l'Église à l'endroit du pape. Mais l'Église n'est-elle pas justement née d'une crise?
« La grande, grande, crise a bien sûr été le dernier repas. C'était la plus grande crise de toutes. Ils avaient abandonné Jésus. Judas l'avait vendu. Pierre était sur le point de le trahir. Il n'y avait pas d'avenir. Et puis dans ce moment le plus sombre, Jésus a fait cette chose extraordinaire. Il a dit: ceci est mon corps, et je vous le donne. Donc, je pense que quand il y a des moments de crise dans l'Église, il ne faut pas avoir peur. Nous devrions demander quelle nouveauté adviendra. »
Une question d'autorité
Mais tous ne partagent pas sa lecture concernant une Église en crise. Aux États-Unis, certains observateurs commencent à s’inquiéter de l’influence d’une droite catholique qui, ouvertement opposée au pape François, cherche désormais à rivaliser avec l’autorité des évêques. La hiérarchie s’apprête-t-elle à faire face à une telle rivalité, et perdre son influence dans un contexte où elle a déjà perdu tellement de crédibilité?
« Absolument. C’est en train d’arriver. Je pense que ce que nous devons éviter, c'est que le vide ne soit rempli par les riches », met-il en garde.
Mais plutôt que de se mettre à décocher des flèches, il propose de revisiter les fondements de la gouvernance ecclésiale.
« Je pense que la grande question est de savoir qui a autorité. Le cardinal [John Henry] Newman, sur le point d'être canonisé [ndlr: le pape a signé le décret le 12 février 2019, la date reste à déterminer], a reconnu qu'il y avait de nombreuses autorités dans l'Église, rappelle-t-il. Vous avez l'autorité des évêques, qui est principalement une interprétation de la tradition. Vous avez l'autorité des érudits, des théologiens, qui la tiennent de la raison. Vous avez l'autorité de l'expérience inhérente à chaque baptisé, parce que l’Esprit saint leur est donné. »
Selon Timothy Radcliffe, le grand défi consiste à évoluer vers un sens enrichi de ce que signifie l’autorité. « Je pense donc que si nous voulons éviter que les riches ne s'installent, nous devons développer un sens de l'autorité beaucoup plus diversifié », dit-il.
Pour des dialogues sains
Puis, appuyant bien ses mots, il poursuit: « Parce que le plus grand problème de l’Église en ce moment, c’est la façon dont nous nous parlons. » Il souhaite l’avènement d’une Église où les conversations, plutôt que de cristalliser les barrières entre divers groupes – les clercs, les laïcs, les jeunes, les plus âgés, les théologiens, les baptisés – puissent les transcender. Un projet qui demande « patience et intelligence ».
Il estime qu’il y a eu ces derniers temps un «recul» dans la qualité des conversations au sein de l’Église, ce qui n'est pas sans rappeler ce qui s'observe ailleurs dans la société.
« Notre culture n’encourage pas une conversation sérieuse. Les médias sociaux encouragent la conversation entre des personnes avec lesquelles vous êtes d'accord. Et ainsi, notre société craint la différence, et cela se reflète dans l’Église, souligne-t-il. Regardez le président Trump. Regardez les tweets. Un monde géré par des slogans. C’est pitoyable, non? »
Comprendre l'autre
Le dominicain estime que l’Église devrait prendre la pleine mesure de la situation et se remettre à s’intéresser aux communications sociales « pour comprendre comment fonctionne le langage ».
« Vous ne pouvez pas comprendre comment les êtres humains fonctionnent à moins que vous ne compreniez comment fonctionne le langage », dit-il.
Il s’agit, croit-il, de parvenir à se mettre à la place des autres et, à l’instar de la philosophe britannique Iris Murdoch, de comprendre ce qu’ils aiment et ce qui suscite de la peur chez eux.
« Si quelqu'un aime le rite tridentin, pourquoi? S'ils veulent porter ces grand vêtements avec beaucoup de dentelle, c'est horrible pour moi! Mais au lieu de simplement dire que c'est horrible, je dois les comprendre », explique-t-il.
De la peur, il en voit actuellement beaucoup au sein de l’Église. « Et plusieurs blâment le pape François pour cette situation. » S’il salue la capacité qu'avait le pape Benoît XVI à s’exprimer avec clarté, il souligne à gros traits le « génie » de François qui aide l’Église à naviguer « en territoire inconnu ».
« Cela survient tous les 200 ou 300 ans. Vous arrivez à une nouvelle étape où les choses ne sont pas aussi claires. Et plusieurs personnes à l’esprit bien ordonné prennent peur », dit-il. Il voit par exemple des similitudes entre le débat qui a entouré le développement de nouvelles recherches historiques sur la Bible, il y a un siècle, et celui sur l’accès à la communion pour les personnes divorcées et remariées aujourd'hui.
« C’est comme si nous étions plongés dans le noir avec certains problèmes. Mais c’est bien. Les adultes n'ont pas peur de sortir la nuit. Nous savons que nous sommes en déplacement. C’est pourquoi j’ai une grande admiration pour le pape François : il nous guide dans ce déplacement. C’est peut-être lent ou incertain, mais c’est cela se déplacer. »
« Meurtre de l'âme »
S’il y a un véritable casse-tête qui s’offre à l’Église ces jours-ci, c’est bien celui du scandale des abus sexuels. Alors que le Sommet sur la protection des mineurs dans l’Église rassemblera les présidents des conférences épiscopales du monde entier du 21 au 24 février, les observateurs s’entendent pour reconnaître qu’il faudra plus que cette rencontre pour finir de drainer l’abcès. La question demeure : quelle Église émergera de cette crise?
« Je ne sais pas. Je ne crois pas que nous le saurons tant que nous ne comprendrons pas ce que ça fait que d’être abusé. Nous avons des recours, la prison, des guides de comportement. Tout cela est important. Le plus important est de parvenir à s’imaginer ce que c’est que d’être abusé », commence-t-il par dire, qualifiant l’abus sexuel de « meurtre de l’âme ».
« Il ne suffit pas de seulement dire ‘nous sommes désolés’. Il ne suffit pas de dire ‘nous vous offrons cette compensation’. Nous devons en quelque sorte placer les victimes au centre de l'Église, en tant que gens que nous honorerons et respecterons. Ils sont nos frères et sœurs. Je pense que c'est la chose la plus importante », insiste-t-il. Ensuite, il faut faire advenir une nouvelle « culture de l’honnêteté » pour assainir la situation. Et pas qu’en Église: dans les écoles, les équipes sportives, les hôpitaux, etc.
« Nous ne savons pas encore où cela nous mènera, and that's OK. »
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Timothy Radcliffe donnera une conférence intitulée «Comment espérer aujourd'hui» le jeudi 21 février à l'église des Dominicains, au 2715, chemin de la Côte-Sainte-Catherine, à Montréal. Détails ici
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