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(Présence-info) Alors que le pape François réitérait une nouvelle fois son opposition à la peine de mort il y a quelques jours, la singulière histoire d'un prêtre et d'un condamné à mort rappelle que l'Église catholique fait toujours partie des groupes qui s'opposent à la peine capitale aux États-Unis.

C'est dans les couloirs de la mort du pénitencier de Lucasville, en Ohio, que l'abbé Neil Kokoothe a fait la rencontre Joseph D'Ambrosio, en décembre 1998. Le prêtre était venu rencontrer ce condamné à mort, afin de lui décrire les funérailles qui venaient d'être célébrées pour sa mère. D'Ambrosio a cependant refusé d'écouter le récit que lui faisait le prêtre. Un codétenu lui ayant annoncé que l'abbé Kokoothe était avocat de formation et qu'il avait pratiqué le droit avant de devenir prêtre, D'Ambrosio voulait plutôt saisir l'occasion pour que le prêtre l'aide à plaider sa cause et prouver son innocence.

Une rencontre providentielle

En 1989, D'Ambrosio a été condamné à mort par un panel de trois juges, au terme d'un procès pour meurtre réglé en à peine trois jours. Aucune preuve médico-légale n'a pu établir hors de tout doute raisonnable que D'Ambrosio était bel et bien l'assassin de Anthony Klann, cet adolescent dont le corps a été retrouvé dans une rivière de Cleveland, en Ohio, en 1988. D'Ambrosio a toujours nié être coupable de ce meurtre.

L'abbé Kokoothe a longtemps hésité avant d'accepter de s'impliquer dans ce dossier.

«En acceptant de devenir aumônier auprès des détenus des couloirs de la mort, je voulais d'abord et avant tout accompagner [spirituellement] ces condamnés à mort. Il n'était nullement question que je m'immisce dans leurs dossiers», soutient le prêtre.

L'abbé Kokoothe a alors dit à D'Ambrosio qu'il n'avait pas le temps de lire et d'analyser des milliers de pages de documents judiciaires. Jusqu'à ce qu'il constate que la documentation relative à son procès ne comptait que quelques pages.

Des erreurs judiciaires

Le prêtre a analysé cette documentation, dans laquelle il a repéré diverses invraisemblances et erreurs judiciaires dans le dossier de D'Ambrosio. Il a émis des doutes sur la version des faits de l'unique témoin oculaire du meurtre d'Anthony Klann. Selon ce témoin, Klann aurait imploré la clémence de ses assassins - assassins qui lui avaient préalablement tranché la gorge. Or, une personne dont la trachée a été sectionnée n'est pas en mesure d'émettre le moindre son, soutient le prêtre. L'abbé Kokoothe parle ici en connaissance de cause : il n'est pas seulement avocat mais aussi infirmier de formation. Il a d'ailleurs travaillé en milieu hospitalier pendant une quinzaine d'années avant de devenir prêtre.

La promesse

L'abbé Kokoothe a rendu visite à D'Ambrosio quelques semaines plus tard. Il a promis au prisonnier de poursuivre son enquête mais à une seule condition: qu'il lui jure n'avoir absolument rien à se reprocher dans cette sinistre affaire de meurtre.

Puis, il a ajouté une deuxième condition, en foudroyant D'Ambrosio du regard: «Un seul mensonge, une seule fourberie et je te largue, est-ce bien clair?», a-t-il alors dit au condamné à mort. L'ex-détenu conserve d'ailleurs un souvenir impérissable de ce face-à-face avec le prêtre catholique.

«Bien des gens ignorent que je suis avocat et infirmier de formation», affirme l'abbé Kokoothe. «Ils sont portés à croire que le fait que je sois prêtre m'amène à exonérer de tout blâme les prisonniers que je rencontre.»

Or, c'est loin d'être le cas, soutient-il. «Je ne crois pas spontanément à l'innocence des uns et des autres», affirme le prêtre. «C'est plutôt le contraire qui s'est produit de ce cas-là. Je voulais prouver empiriquement que D'Ambrosio disait bel et bel la vérité.»

Vers un deuxième procès

Joseph D'Ambrosio n'avait qu'une idée en tête : prouver son innocence. Le condamné à mort savait «qu'un nouveau procès et que de nouvelles preuves lui permettraient de recouvrer sa liberté», affirme l'abbé Kokoothe.

En poursuivant ses recherches, l'aumônier a découvert qu'Anthony Klann, la victime, était un témoin-clé dans une affaire de viol. Il a donc été assassiné afin qu'il ne puisse témoigner et ainsi faire condamner le présumé violeur. Or, le violeur en question - Paul ''Stoney'' Lewis - est le même homme ayant accusé D'Ambrosio d'avoir assassiné Anthony Klann.

L'abbé Kokoothe a également constaté que les procureurs de l'État de l'Ohio ont omis de transmettre à l'avocat de D'Ambrosio certains éléments de preuve essentiels.

Le prêtre a alerté les journalistes, lesquels ont ensuite braqué les projecteurs de leurs médias respectifs sur la situation de Joseph D'Ambrosio. Mais sans toutefois parvenir à changer le cours des choses, du moins immédiatement.

Les années passent. Un autre condamné à mort de la prison de Lucasville est exécuté, non sans avoir épuisé tous les recours judiciaires à sa disposition. Sur son lit de mort, le supplicié a demandé à son directeur de conscience, un ministre du culte, de venir plutôt en aide à Joseph D'Ambrosio. Le pasteur est alors entré en communication avec un prestigieux cabinet d'avocats, lequel s'est engagé à défendre bénévolement (pro bono) la cause de Joseph D'Ambrosio.

Entretemps, l'abbé Kokoothe n'a jamais cessé de soutenir D'Ambrosio. Bien que les deux hommes soient tous deux dans la cinquantaine, le prêtre a développé une attitude paternelle, voire paternaliste, à l'égard du condamné à mort.

Peu avant la tenue du second procès, un juge a ordonné la remise en liberté de Joseph D'Ambrosio. L'abbé Kokoothe s'inquiétait des effets potentiellement dévastateurs de cette libération conditionnelle. Que se passera-t-il si D'Ambrosio perd son second procès et qu'il est renvoyé dans les couloirs de la mort du pénitencier de Lucasville? Cette courte période de liberté ne risque-t-elle pas d'avoir un goût amer s'il fallait que D'Ambrosio soit à nouveau incarcéré?

Le prêtre a donc suggéré à D'Ambrosio d'élire domicile dans la prison du comté de Cuyahoga (Ohio), durant la tenue du second procès. Le détenu s'est vigoureusement objecté à cette suggestion: «Même une seule minute de liberté en vaut la chandelle!», affirme D'Ambrosio. «N'oubliez pas que pendant près de 22 ans, j'ai été confiné à une cellule de 6 mètres carrés!», ajoute-t-il.

Le détenu a donc été placé en garde à vue dans l'appartement de l'un des amis. Il ne sortait que pour rencontrer ses avocats ou son médecin.

Le second procès

Durant l'enquête préliminaire qui a précédé son second procès, les procureurs d'État ont admis avoir omis de transmettre aux avocats de D'Ambrosio les preuves matérielles ayant permis d'incriminer leur client lors de son premier procès. Un juge fédéral a alors ordonné la libération de D'Ambrosio, de même que l'annulation de sa condamnation et de sa sentence. En 23 janvier 2012, il a été exonéré de tout blâme par le Tribunal.

Les procureurs de l'État ont porté cette décision en appel mais la Cour suprême des États-Unis a refusé d'entendre cette cause.

David Mills, l'avocat ayant permis à Joseph D'Ambrosio de recouvrer sa liberté, ne tarit pas d'éloges à l'égard du rôle-clé joué par l'abbé Kokoothe.

«C'est lui le maître d'œuvre du processus ayant mené à la libération de Joe [D'Ambrosio]», disait-il, en saluant le travail essentiel du prêtre. «En acceptant de rencontrer Joe et en l'écoutant attentivement, il a mis en branle toute cette démarche», ajoute l'avocat.

Religion et réinsertion sociale

Joe D'Ambrosio est désormais un homme libre. Il n'a donc plus besoin des services d'un avocat. Or, un fait demeure: pendant près de 22 ans, sa vie a été enfermée sous une immense cloche en verre. Il redécouvre maintenant les aléas de la liberté.

Entretemps, l'abbé Kokoothe est devenu le curé de la paroisse de St. Clarence, à North Olmsted (Ohio). Plusieurs de ses paroissiens ont entretenu une correspondance avec D'Ambrosio lorsque celui-ci était incarcéré. Quelques-uns d'entre eux ont même assisté aux audiences de son second procès.

Personne ne s'est offusqué lorsque la paroisse a décidé de faire appel à Joe à titre d'homme à tout faire et de préposé à l'entretien de l'église paroissiale.

Les Églises et groupes de pression opposés à la peine capitale ont maintes fois demandé à Joe D'Ambrosio et à l'abbé Kokoothe de raconter leur expérience. Ceux-ci ont d'abord pris la parole devant les membres de la paroisse St. Clarence. Ce jour-là, l'église paroissiale était pleine à craquer. Des paroissiens ont remis à Joe une montre sur laquelle est gravée la date où la Cour suprême lui a rendu sa liberté.

«C'est l'un des objets que je chéris le plus», dit l'ex-détenu. «Je n'ai jamais ressenti autant d'amour inconditionnel qu'ici même, dans cette paroisse. C'est ma nouvelle famille», ajoute-t-il.

L'abolition de la peine de mort

Au cours des dernières années, l'abbé Kokoothe et Joseph D'Ambrosio ont prononcé des conférences devant diverses associations de juristes et aussi devant plusieurs groupes de pression opposés à la peine de mort. Ils espèrent profiter du Jubilé de la miséricorde pour relancer ce débat.

Bien qu'ils prononcent parfois des discours à titre individuel, les deux hommes affirment préférer s'adresser aux foules en tant qu'équipe. «Nous sommes en quelque sorte des frères», affirme D'Ambrosio.

«Rien n'est plus déplaisant que d'être confiné aux couloirs de mort», affirme l'abbé Kokoothe. «Si j'avais moi aussi été soumis à une expérience traumatisante comme celle-là, je n'aurais qu'une seule idée en tête: tourner la page le plus rapidement possible et chasser ce souvenir de mon esprit.»

Le prêtre a alors demandé à D'Ambrosio s'il était prêt à faire le récit de sa mésaventure judiciaire. Ce dernier lui a répondu qu'il est toujours prêt à raconter son histoire. Et qu'il le fera sans relâche, «jusqu'à ce que la peine de mort soit enfin abolie». D'autant que D'Ambrosio a failli être exécuté pour un crime qu'il n'avait pas commis.