Montréal

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Raymond Beaugrand-Champagne est décédé à Montréal le 27 décembre 2022 à l’âge de 96 ans. Il a surtout laissé sa marque comme réalisateur à la Société Radio-Canada pendant une trentaine d’années. On lui doit la célèbre émission Rencontres, diffusée chaque semaine de 1971 à 1990. Il a réalisé des centaines d’entrevues avec des personnalités des quatre coins du monde, croyants ou athées (voir la liste). Il m’a invité à son émission où j’ai été interviewé à deux reprises par Marcel Brisebois (1933-2022), le 26 novembre 1989 en tant qu’écrivain et professeur de théologie, et la semaine suivante comme spécialiste de l’œuvre du poète Patrice de La Tour du Pin

Nous nous sommes rencontrés par la suite, surtout à son appartement situé en face du Grand Séminaire de Montréal, pour échanger sur la foi au Christ. Il était parfois amer, un brin désabusé, face au Québec, à l’Église, à la tiédeur de certains prêtres. Je n’étais pas toujours d’accord avec lui, mais il savait accueillir mes opinions et celles des autres, sans dissimuler les siennes. Le ton pouvait être tranchant, tant sa franchise était désarmante, mais c’était par respect pour son interlocuteur, en lui disant ce qu’il croyait être la vérité. 

Il a surmonté plusieurs crises de foi en l’approfondissant par la lecture des saints et saintes, et surtout par la prière. Sa foi au Christ est devenue totale, vibrante, sans être intransigeante. Par exemple, il allait à l’Eucharistie chaque jour et, pour mieux incarner l’Évangile, il a adopté un orphelin qui lui a appris à vivre le pardon et le don de soi, jusqu’à sa mort tragique, survenue en 1994, à l’âge de 40 ans.

Un jour, Roland Leclerc (1946-2003), animateur connu de l’émission Le Jour du Seigneur, interviewe Raymond pour son émission En toute amitié. Il lui demande à brûle-pourpoint s’il est un exalté. Et lui de répondre du tac au tac : oui, tout en ayant les deux pieds sur terre. Il poursuit en se demandant comment ne pas s’exalter devant le fait d’exister, devant la beauté de la création, devant l’amour de Dieu révélé en Jésus, le Vivant par excellence. Pour lui, l’exaltation était une expression de la joie, et de la joie de croire, même si sa vie a été traversée par des moments de doute, de désespérance et de grande solitude. 

Après sa retraite de Radio-Canada, il anime bénévolement, de 1995 à 2001, 1137 émissions quotidiennes à Radio Ville-Marie, intitulées Rencontres spirituelles. Il fait connaître la vie des saints, des bienheureux et des gens qui ont cherché à donner un sens à leur vie et dont la renommée est importante. Il a dû démissionner, non sans douleur. Ces émissions, où l’on propose d’unir foi et culture, sont répertoriées sur son site Internet https://dieuparminous.ca.   

Après des nuits privées d’étoiles, où il remet en question son attachement au Christ, la lumière revient toujours plus forte dans son âme. Il accepte enfin et pour de bon le mystère de la présence du Christ vivant dans l'eucharistie. Dans ses conférences, il témoigne de l’amour de Dieu pour lui et pour chaque personne. Il montre que cet amour absolu s’est révélé dans la vie et le message de Jésus ressuscité. Il tourne un film d’une heure sur « Le Saint-Suaire de Turin » qui fait une grande impression en 1979 au congrès international d’émissions religieuses à Paris et qui sera diffusé dans plusieurs pays.

Cet homme de radio et de télévision gardera toute sa vie la nostalgie de la vie monastique. Il était entré chez les Bénédictins à l’âge de 18 ans, mais il n’est resté que deux ans. Sur son avis de décès, on invite d’ailleurs à honorer sa mémoire par un don à l’abbaye Saint-Benoît-du-Lac. Le service funèbre a lieu le 21 janvier 2023 en la Cathédrale Marie-Reine-du-Monde de Montréal.

Un jour, je lui ai téléphoné à l’hôpital. Il me confia qu’il souffrait beaucoup de l’absence de Dieu, comme s’il communiait intérieurement à la détresse de notre monde. Diminué par l’âge, affaibli par la maladie, il voulait espérer contre toute espérance, comme Jésus sur la croix. Sa mémoire n’était plus ce qu’elle était, mais il gardait confiance, apportant d’une manière pauvre et dépouillée son grand amour du Christ et de l’Église. Il témoigne de cet amour dans  une brève autobiographie sur son site, rédigée au début des années 2000. Il termine par ces mots qui sonnent un peu comme son testament. Qu'il repose maintenant dans la paix du Christ, qu'il a tant aimé et cherché.

« Ce monde attend qu'on lui annonce ce qu'on appelle la Bonne Nouvelle : c'est l'Amour que Dieu a pour nous qui nous sauve de nous-mêmes. Comment découvrir cet Amour? On l’apprend en méditant l'Évangile. On l’apprend aussi par la vie des saints et des saintes. Et l’on apprend à vivre de cet Amour en se nourrissant surtout de l'Eucharistie. C’est alors que l’on se décide une fois pour toutes : on décide de ne plus jamais offenser ou blesser cet Amour infini. On se laisse envahir une fois pour toutes par l’Esprit de Dieu. Il s’agit somme toute de donner sa vie par amour pour Lui et pour les autres.
J'aime bien ces paroles du carme Marie-Eugène de l'Enfant-Jésus: « Pour être saint, il faut arriver à cet extrême, à un anéantissement tel qu'on n'ait qu'une chose à faire: espérer en Dieu. Étant appauvri complètement, on ne peut être sauvé que par un acte de confiance dans cette pauvreté complète, par un acte d'espérance jailli du dénuement absolu ». En somme, c'est dans la communion des saints, dans ce qui constitue ce que l'on appelle aussi le Corps mystique que tout se joue. C'est comprendre fermement que Dieu est parmi nous, en nous, et qu'il nous aime. Le reste est bien secondaire. »
(Lire le texte complet sur son site Web)

Lire aussi un résumé de sa vie, sur le site des Cursillos du Canada.

Pour aller plus loin: En sa présence. Autobiographie spirituelle (Artège/Novalis), où j'évoque un peu cette période de ma vie.

En sa mémoire, l'émission Rencontres du 3 décembre 1989 qu'il a réalisée et qui porte sur Patrice de La Tour du Pin. Je suis interviewé par Marcel Brisebois. J'avais 37 ans à l'époque. À regarder dans ma chaîne YouTube.